vendredi 8 octobre 2010
Jacques BARATIER
L’œuvre de Jacques Baratier est un continent méconnu, un archipel d’une dizaine de longs métrages et d’une vingtaine de documentaires, en attente d’être exploré. De dix ans l’aîné des enfants terribles de la Nouvelle Vague (exception faite de Rohmer dont il est quasi contemporain), Jacques Baratier n’obtiendra jamais les faveurs des Cahiers du cinéma. La foule d’acteurs, de poètes, d’écrivains, de musiciens, d’amis en tout genre qui a participé à ses films n’a d’égal que son isolement dans le paysage du cinéma français d’après-guerre. Ce n’est peut-être qu’aujourd’hui, passées les querelles esthétiques, que ses films peuvent enfin nous apparaître dans leur singulière vitalité.
« Le cinéma de Jacques Baratier est comme un brasier », écrit Bernadette Lafont en 1978. Inclassables, ses films plongent leurs racines dans la peinture, la poésie, le surréalisme et l’esprit déjanté de Saint-Germain-des-Prés – celui de Vian et de Cocteau, animé par la soif de liberté et le refus du sérieux. Qu’il filme le Quartier latin et ses indigènes dans Désordre (1948), le monde arabe dans Goha (1958) ou les terrains vagues et les bidonvilles de la banlieue parisienne dans La Poupée (1962) et La Ville bidon (1975), Jacques Baratier saisit chaque fois à travers le prisme de la mise en scène une réalité fragile, évanescente, qui donne à ses films une valeur exceptionnelle de témoignage. N’appartenant à aucun genre, privilégiant la forme du divertissement, son œuvre frappe par sa fantaisie, son audace et son étrange beauté. Éloge de la folie contre les présomptions de l’ordre, elle dut parfois subir la censure du conformisme.
Sylvain Maestraggi
Images de la culture, n° 25, CNC, 2010
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